Il cligna des yeux, de légères rougeurs envahissant ses joues alors que son cerveau capté ce que Rainie venait de lui dire. Tombée… amoureuse de lui ? C’était bien se qu’elle venait de dire ? Hein ? Pourquoi ? Pourquoi avait-elle dit ça ?
Il resta interdit un moment en mode freeze total sans oser bouger ou faire quoique ce soit, une main tenant toujours la serviette bien en place sur sa tête.

▬ Je te prends cette chemise pour dormir !
▬ Hein ?

Il papillonna de nouveau des yeux, ses neurones se remettant difficilement en route et son regard tomba sur la chemise qu’elle tenait. Euh… c’était à lui non ? Qu’est-ce qu’elle venait de dire ? Trop perturbé, il ne s’en souvenait même pas…

▬ Si… tu veux… lança-t-il un peu dubitatif.

Dans le doute, ne jamais contrarier une femme et dire qu’elle à raison/ aller dans son sens. C’est ce que sa mère et sa sœur lui avait rapidement apprit par la force des choses. Et Leslie aussi, ironiquement parlant.
Les femmes étaient définitivement divinement compliquées…

▬ … Pourquoi est-ce que tu as ça, d’ailleurs ?
▬ Hein ? Il capta enfin. Ah, les chemises… j’étais pressé au moment de partir alors c’est ma mère qui a fait ma valise… il grimaça, j’ai pas eu le temps de vérifier.

Il haussa les épaules, continuant de se sécher les cheveux. Il aurait pu utiliser le sèche-cheveux puisqu’elle lui avait dit qu’elle en avait un mais il n’aimait pas vraiment cet appareil et l’agitation qu’il y avait autour quand sa sœur était dans le coin.
Le sèche-cheveux était un objet dangereux pour sa tranquillité mentale et son équilibre personnel…

▬ Je ne sais même pas pourquoi j’en ai autant, j’ai jamais le temps d’en mettre…

Ce n’était pas franchement compatible avec l’art d’avoir les mains constamment dans les moteurs et les fringues éternellement plein de cambouis. Et comme il se foutait bien de son style vestimentaire du moment que c’était pratique… hors, les costumes ne l’étaient généralement pas.
Enfin, maintenant qu’il y pensait, sa mère et sa sœur aimaient bien faire les magasins alors ça venait peut-être de là cette accumulation…

Posant la serviette sur le dossier du canapé, il remontant consciencieusement les manches de sa chemise avant de se diriger vers la cuisine.

▬ Tu as un tablier ?

Histoire de ne pas se salir tout de suite et de devoir reprendre une douche en suivant… ce serait quand même dommage de passer sa journée sous la flotte.
S’étirant un peu pour la forme et pour voir quels gestes il pouvait vraiment faire dans une chemise cintrée – trop s’étirer n’était pas une bonne idée donc il arrêta très rapidement le mouvement – il se mit donc au travail, sortant les ingrédient du sachet pour préparer la pâtes.

▬ J’ai pris plusieurs trucs alors je penses qu’on peut en faire environs quatre… tu les veux à quoi ?

Lui s’en foutait pas mal, il aimait tout du moment que ce n’était pas trop sucré.

Whining of the tiny frog

♫

« Hein ? »

« Bécile. » se retint-elle de répondre alors qu'il semblait plus ou moins se reprendre de... de quoi d'ailleurs ? Elle n'avait pas souvenir d'avoir déjà vu Leslie rougir, à part peut-être après des efforts un peu trop prenants. Et si la nouveauté eut le mérite d'attendrir un peu le sourire malicieux qui étira ses lèvres, Rainie ne s'empêcha pas pour autant de lui lancer un regard aussi curieux que sincèrement amusé. Juste avant de s'assurer qu'un morceau de sa poitrine ou de ses cuisses ne tentait pas de s'échapper.
Visiblement... non, et elle fut forcée de lâcher l'affaire puisqu'il sembla lui-même être passé à autre chose. Insister ne servait absolument à rien, dans ce genre de cas. Surtout avec lui.

« Ah, les chemises… j’étais pressé au moment de partir alors c’est ma mère qui a fait ma valise… j’ai pas eu le temps de vérifier. »

Le tissu était tout de même relativement agréable et, si elle n'eut pas l'insolence de tenter de mettre un prix sur la chemise qu'elle lui avait empruntée, Rainie se promit néanmoins de la lui rendre en un état aussi impeccable que celui qu'elle arborait actuellement.

« Je ne sais même pas pourquoi j’en ai autant, j’ai jamais le temps d’en mettre… »
« Normal, avec ton boulot de cochon. »

Son sourire prit des allures un peu plus douces, en dépit de sa réponse. Elle savait pertinemment que Leslie aimait profondément son travail. L'implication et l'intérêt qu'il y vouait parlaient presque pour lui et, au cas où le fait ne semblait déjà pas évident, son amour pour les voitures le poussait à regarder des films aussi étranges que... Cars. Dont le DVD avait déjà recommencé, d'ailleurs.

« Tu as un tablier ? »
« Sur le côté du frigo. » indiqua-t-elle comme une évidence en éteignant son lecteur.

Le silence qui cueillit son salon lui sembla presque salvateur et elle poussa un petit soupir ravi tout en nouant ses cheveux en un chignon négligé sur sa tête.

« J’ai pris plusieurs trucs alors je penses qu’on peut en faire environs quatre… tu les veux à quoi ? »
« Mh... Une au jambon et aux poivrons, avec des champignons. Une autre avec du chorizo et du bacon... et... mh... ? »

Sa voix s'arrêta dans un petit murmure interrogateur soutenu par la moue gênée qui la fit pincer ses lèvres. Elle avait l'habitude de prendre à peu près les mêmes choses, sur ses pizzas : du poisson, des légumes et... et rien de plus, en vérité.
« On dirait presque des jeunes mariés. Tu ne comptes pas lui dire que tu es végétarienne ? »
« Pesco-végétarienne. Et je m'en fiche. J'en mange... de temps à autre. Je n'en aime juste pas le goût. »
La remarque colora ses joues d'une légère brume rosée et elle ouvrit la porte de son frigo pour en sortir une tablette de chocolat et quelques bananes.

« J'ai mangé un peu de la tablette mais... On peut en faire une à la crème et au saumon, puis terminer par une pizza dessert ? Je n'en ai jamais mangé. »

Sur ces mots, elle reposa les ingrédients qu'elle avait sortis afin d'enfiler son propre tablier puis tendit l'autre à Leslie.

« Ou alors je peux juste faire des crêpes pour le dessert. »

Whining of the tiny frog

♫

« Il n'y a jamais trop de dessert mais moi j'aurai sûrement trop de gras... »

Son murmure fut si bas qu'elle se demanda elle-même si elle l'avait seulement prononcé.
Bien évidemment qu'il pouvait se permettre d'être partant pour les deux. Il n'avait pas de souci de cellulite, pas de bourrelets disgracieux qui attendaient le moment propice pour malicieusement déborder de ses Jeans, pas de ventre, non plus. Non, il était taillé comme un Dieu et le constat à lui seul suffit à discrètement faire soupirer Rainie, sans qu'elle ne repousse pourtant sa proposition.

« Si tu roules quand tu repars, je ne suis responsable de rien. »

Ses mots s'achevèrent dans un nouveau sourire et elle se campa près de lui en se penchant un peu sur le plan de travail afin d'être sûre qu'ils n'auraient rien oublié.

« Mais tu es sûre pour le jambon, le chorizo et le bacon ? Parce que j’en ai pas prit, je pensais que tu n’aimais pas ça… Enfin, je peux toujours aller en chercher quand la pâte reposera. »
« Hein ? »

Le temps que l'information lui arrive au cerveau et Rainie s'empourpra, soudainement. Prise de court et partagée entre l'idée d'être touchée ou de simplement se sentir stupide.
Elle n'y avait pas pensé mais ils se connaissaient depuis bien assez longtemps pour qu'il le sache, quand bien même elle ne le clamait pas haut et fort. Il avait du voir qu'elle ne commandait jamais de repas faits à base de viande rouge ou blanche, et il lui aurait suffi de jeter un œil à l'intérieur de son frigo pour remarquer qu'elle n'y stockait que des produits de la mer.

« Non, j'ai... proposé parce que je sais que tu manges de la viande mais... je n'en mange pas. Je ne pensais pas que tu l'aurais remarqué et vu que je ne te l'ai jamais dit... »

Elle ne remarqua qu'à cet instant qu'elle avait commencé à nerveusement jouer avec les lacets du col de sa robe, relâcha les deux cordons avant de les abîmer et entreprit de l'aider comme elle le pouvait, sans plus s'attarder sur le sujet. Il n'y avait rien à ajouter de toute manière et elle ne comptait pas spécialement le remercier d'avoir fait attention à elle... puisqu'il l'ignorerait, si elle s'y risquait.

« Tu veux faire quoi pendant que sa pose ? »

Rainie inclina la tête, les yeux toujours rivés sur la petite boule de pâte à pizza et sur les doigts en conséquence pleins de farine de Leslie. Il s'y connaissait, visiblement. Mieux qu'elle en tout cas, ses pâtes à pizza finissaient toujours davantage collées à ses doigts qu'à réellement avoir l'air de quelque chose, et ce fut sur cette pensée que Rainie jeta un œil à ses ongles. Fraîchement coupés.
Le visage soudainement animé d'un petit sourire malicieux, elle approcha alors calmement ses mains des siennes et reprit la parole avec autant – voire plus – d'innocence que d'ordinaire, l'air de simplement vouloir envahir un peu son espace vital.

« Mmmmh... Ce serait bien que je fasse la pâte à crêpes, déjà. Ou j'attends qu'on mette les pizzas au four pour qu'elle repose pendant la cuisson et le repas... Mais ça reviendra au même au final. »

Le temps à tuer serait à peu près équivalent et elle ne savait déjà pas s'ils mangeraient en silence ou devant la télé.
Préférant toutefois réfléchir à ce fait là plus tard, Rainie retira ses mains du saladier avec la même tranquillité qu'auparavant et... abandonna l'idée de les coller contre la figure de Leslie dès qu'elle se sentit sursauter. La sonnerie qui avait coupé court à son initiative la fit légèrement pester et elle lança un regard boudeur à l'écran de son portable.
Son cœur tomba dans sa poitrine.
De tous les noms possibles au monde, pourquoi fallait-il que ce soit celui d'une femme ? « Jalouse ? C'est peut-être juste sa sœur. » « Je m'en fiche. » « Ce que je te vois ressentir n'a rien à voir avec de l'indifférence, pourtant. »

La remarque la fit légèrement froncer les sourcils et, sans prêter plus d'attention à son esprit dérangé, Rainie releva brusquement ses doigts pour attraper le visage de Leslie entre ses mains.
Elle n'aimait pas ce qu'elle ressentait. Elle n'aimait pas l'anxiété qu'elle sentait poindre à nouveau dans sa poitrine. La peur qui prenait possession de sa tête et lui donnait envie de lui écraser les joues, bêtement, parce qu'elle se savait incapable de le frapper. Elle n'aimait pas l'idée, désagréable, qu'une femme puisse avoir au moins autant d'attention qu'elle. Pas à l'heure actuelle en tout cas. Pas alors qu'elle avait désespérément peur d'être toute seule. Pas alors qu'elle avait simplement besoin, pour une fois, de faire preuve d'un tant soit peu d'égoïsme. « Tu te fais potentiellement des idées et je pense que tu devrais le relâcher, maintenant. »

Elle rougit. Encore. Bien plus violemment cette fois.

« Je... Tu... avais un truc sur la figure... mais c'est... juste ton habituel air stupide, je crois. »

Sauver les meubles. Avant tout... sauver les meubles.
Et calmer l'instinct territorial stupide qui avait animé sa poitrine l'espace d'un instant pourtant trop long. « Ridicule avec ça. » « Merde, d'accord ? »

Whining of the tiny frog

♫

« Méchante... ~ »

Rainie sentit son cœur rater un premier battement dans sa poitrine. Suivi de près par quelques autres qui lui donnèrent presque le vertige, juste avant que son myocarde ne reprenne un rythme brusquement plus irrégulier.

« J’ai pas l’air tout le temps stupide d’abord… »

La remarque lui passa totalement au-dessus des sourcils. Si elle avait plus ou moins prévu cette réponse, c'était davantage sa réaction qui la laissait aussi perplexe que parfaitement immobile. Et en conséquence, ses joues prirent une teinte écarlate encore plus vive que celle qu'elles arboraient déjà auparavant. Il voulait la tuer ? Si c'était le cas, il finirait par merveilleusement y arriver.

« Désolé Rainette, je te capture une minute le temps de rappeler ma mère ou elle va me faire chier toute la soirée. »

« Sa mère ? » Rainie fut ramenée à la réalité par le ricanement malicieux qui résonna dans sa tête. Sa mère. C'était sa mère ? Qui n'était pas enregistrée sous le nom de « Maman » mais sous un... prénom ? Et il croyait sincèrement qu'elle allait avaler ça ? Est-ce qu'elle avait seulement l'air aussi stupide que lui ?
Prise d'un soudain élan de mauvaise foi, Rainie tenta alors de maladroitement secouer sa main afin de dégager son poignet de celle de Leslie puis bougonna avec autant de conviction que de gêne :

« Je m'en f-- »

Sa voix fut engloutie par le hurlement qui occupa brusquement l'ensemble de sa cuisine.
Et Rainie sentit ses épaules s'affaisser du poids d'une culpabilité et d'une stupidité sans aucun précédent : c'était bien sa mère. Aucun doute à avoir. Elle avait, encore une fois, tiré des conclusions bien trop hâtives et elle s'en mordait désormais les doigts.
Son embarras lui donna presque l'impression de la faire surchauffer et elle se surprit à brusquement prier intérieurement Dieu de la faire disparaître. Maintenant. Dans le sol. Sous un meuble. Où que ce soit mais loin de Leslie et loin de la jalousie un peu trop prenante qu'il avait éveillée chez elle.

Sa gêne ne s'atténua – toutefois légèrement – que lorsqu'il relâcha enfin sa main. Et elle détourna instantanément les yeux pour fuir le sourire qu'il lui offrit. D'autant plus gênée.

« MAIS ! ÊTRE AVEC SA PETITE AMIE NE LUI DONNE PAS LE DROIT D’OUBLIER SA MÈRE ! »

Rainie ne tenta même pas d'étouffer le couinement gêné qui s'échappa de sa bouche. Elle n'était plus à ça près, sur l'échelle du ridicule, et le fait qu'il ne démente pas ne manqua absolument pas d'un peu plus l'y faire grimper. « C'est tout de même incroyable d'être aussi stupide. » « MERDE J'AI DIT. »

« Pourquoi faut-il toujours qu’elle soit comme ça ? Je ne l’ai pas appelé pendant trois jours et c’est la fin du monde… »

« Parce que c'est une maman. » lui aurait-elle répondu en temps normal. En temps normal. Or elle était actuellement en pleine épreuve mentale et il lui fallut un incroyable effort de volonté pour ne pas simplement exploser.

« Donc tant qu’on y est, pâte à crêpes ? »

… Effort qu'il fit partir en fumée.

« … Leslie, tu... »

Elle essuya nerveusement ses mains sur son tablier, tapa même un peu dessus comme pour tenter de se raisonner puis attrapa les joues de son ami afin de tirer dessus de toutes ses maigres forces, en abandonnant l'idée même de retrouver son calme.

« Tu es un crétin. Un couillon. Un idiot. Un imbécile doublé d'un abruti. » proféra-t-elle, avec tout l'embarras du monde, en fermant les yeux de toutes ses forces. « Tu as raison quand tu dis que les idiots ne tombent pas malades ! »

Il lui fallut un nouvel effort de détermination quasi incommensurable pour ne pas faire ce que tout son être lui criait de faire. Et elle le relâcha, plus ou moins calmement, attrapant le saladier pour commencer à aléatoirement y verser de la farine.

« Tu... aurais au moins pu démentir, non ? … Au moins... au moins histoire qu'elle ne se fasse pas d'idées. »

Sa poitrine se souleva du fait d'une profonde inspiration alors qu'elle fermait à nouveau les yeux. Calme. Elle devait retrouver son calme. Rien de bon ne venait à être trop émotive.

« La prochaine fois que tu me lèches quelque part, je te couvre le visage de bave. » gromma-t-elle en entreprenant sa pâte à crêpes. « Et puis pourquoi est-ce qu'elle a cru que étais chez ta petite amie ? Depuis quand tu as une petite amie, toi ? »

« Tu devrais te calmer, Rainie. »
Elle inspira, encore. Tenta de se focaliser sur la voix dans sa tête pour apaiser la kyrielle d'émotions qui s'amusait avec ses nerfs. « Tu es encore plus émotive que d'habitude, arrête d'être ridicule. » « ... Je vais essayer de reprendre mon calme. »

Whining of the tiny frog

♫Elle devait se calmer. Oublier. Passer au-dessus de ce simple détail comme elle passait au-dessus du reste, en général. Elle aurait simplement à appeler Raphaël, la prochaine fois. À ne pas le déranger, lui, pour du temps qui n'était pas le sien et qu'il aurait pu employer autrement.

« Bah… J’ai p'être oublié de lui dire qu’elle était décédée… »

Rainie eut presque l'impression de sentir son cœur éclater. La nouvelle lui fit l'effet d'une douche glacée, ensevelît sa poitrine sous une avalanche de culpabilité tandis qu'elle voyait ses propres appréhensions se transformer en simples détails sur lesquels elle s'était trop souvent attardée. Pourquoi ? De tous les moments sur Terre, de toutes les façons possibles, pourquoi fallait-il qu'il le lui annonce à cet instant et précisément de cette façon ? « Je t'avais dit que tu étais ridicule. »
Son visage blêmit brusquement et Rainie resserra ses doigts autour du bord de son saladier en relevant des yeux aussi perdus que surpris vers Leslie.

« ‘fin ça fait cinq ans donc y’a prescription. Sinon, ç'sert à rien d’argumenter avec ma mère. Vu que je suis soit en train de bosser, soit avec Vai, soit avec toi. Mais si ça te dérange vraiment, je la rappellerais plus tard. »

Elle ne prêta pas plus attention à la suite de sa phrase qu'aux œufs qu'elle cassa par automatisme au creux du saladier, sans plus le regarder. Elle était vraiment ridicule. Jalouse et ridicule. Ou tout du moins, le premier des deux sentiments négatifs qui emplissaient sa poitrine jusqu'à maintenant s'était envolé avec toute sa gêne et toute sa rage injustifiées. Au profit d'une détresse qui embua ses yeux si brusquement qu'elle ferma de toutes ses forces pour s'empêcher de fondre en larmes.

« T'as toujours la même voiture ? »
« Non. »

Et elle ne s'excusa même pas de la sécheresse, éteinte, de sa voix.
Elle n'avait pas envie de faire semblant. Pas maintenant. Pas de cette façon-là. Pas pour ça. Oublier ce qu'elle avait vécu pour aller mieux lui convenait. Son corps ne l'effacerait jamais et si elle s'efforçait de ne pas y penser, elle pouvait au moins se relever. Mais oublier la mort d'un amour était une douleur qu'elle ne voulait même pas prendre le risque d'imaginer. « … Je n'ai perdu que ma virginité au final. De quoi je me plains ? … Non. J'ai l'impression d'utiliser sa peine à lui pour me complaire dans la mienne. » « … Rainie ? »
Elle ne prit pas la peine de répondre, rouvrit les yeux et s'affaira à simplement terminer la préparation de la pâte qu'elle avait entamée.

« Pourquoi tu ne m'as rien dit avant... ? Tu n'avais pas envie de m'en parler ? … Est-ce que tu as vraiment gardé ça pour toi, Leslie ? »

Il n'y avait pas la moindre once de reproche dans sa voix. Aucune animosité. Aucune rancoeur. Uniquement une profonde inquiétude qui prit la forme de larmes qu'elle n'essaya pas plus de retenir, lorsqu'elles se frayèrent un chemin humide le long de ses joues.

« Tu as vécu ça tout seul ? Je sais que je suis mal placée... précisément parce que je ne te dis pas tout moi-même mais... Leslie... »

Elle se tut avant même d'en dire plus, repoussa son saladier avant de ramener les talons de ses mains contre ses yeux, comme si ce simple geste aurait pu la calmer.

« … Je ne sais même plus ce que j'essaie de dire, au final. »

« Qu'il n'avait pas à vivre ça de lui-même ? Pourquoi pas ? Il en avait le droit, s'il en avait envie. De même qu'il n'a pas nécessairement besoin de toi, ou de ses amis. »
Il lui en donnait l'impression, depuis trop longtemps. Et même un peu plus maintenant. De ne jamais avoir eu besoin de qui que ce soit, de convenablement avancer tout seul, d'être là à chaque fois qu'un de ses êtres chers aurait besoin de lui, sans jamais s'effondrer lui-même.

« Tu es seulement humain, crétin... »

Sûrement l'un des êtres les plus humains qu'elle avait pu rencontrer. Et assurément l'un des plus forts également.

Whining of the tiny frog

♫
« Tu t’en fait pour rien petite Rainette. C’est du passé et je vais bien. Et si tu veux en vouloir à un autre idiot, prends-toi en à Vai, il est encore plus terrible que moi dans le genre. »

La réponse ne la réconforta qu'à peine plus que l'étreinte dans laquelle il l'enveloppa. Non, elle n'en voudrait pas à Vai. Elle ne lui en voulait pas à lui, pour commencer, et c'était de lui dont il était question, à l'heure actuelle.
« Idiot. » se retint-elle de murmurer en glissant ses mains dans son dos pour faiblement agripper sa chemise. Elle le lui avait bien assez dit, quand bien même elle avait l'impression qu'il n'avait rien compris.

« Je sais bien que je suis humain, c’est pour cela que si un jour je vois que je ne pourrais pas gérer, je viendrais en parler. Alors toi aussi, n’hésites pas à t’appuyer sur moi… sur Vai aussi. On sera là pour toi. »

Elle s'y attendait. Évidemment. Évidemment qu'elle aurait droit à ce genre de réponse. Évidemment qu'il arrivait à gérer, maintenant. Mais avant ? Tout était tellement plus facile maintenant qu'il allait visiblement bien. Mais avant d'aller bien, avant que tout cela ne devienne que « du passé », dans quel état est-ce qu'il avait été ?

« Je m'en fiche. » marmonna-t-elle, sans conviction, contre sa chemise. Elle n'avait assurément pas l'air glorieuse à l'heure actuelle mais Dieu seul savait comme elle s'en fichait. « Je ne veux pas que tu vives ce genre de choses tout seul. C'est... égoïste... mais je ne veux pas savoir que tu allais peut-être mal, et que tu étais seul. Tu ne veux pas non plus que je le fasse, non ? »

Preuve en était la vitesse à laquelle il était arrivé, lorsqu'elle lui avait demandé de venir. La patience dont il faisait preuve et l'étonnante façon qu'il avait de prendre soin d'elle. Il était en charge de veiller sur elle, mais elle ne l'avait jamais ressenti comme un devoir qui lui avait été imposé, et le baiser qu'il déposa sur son front apaisa un peu plus sa tête et son cœur tous deux ravagés.

« Et puis, ce n'était pas une chose surprenante, je le savais... Je n'ai pas été si seul que ça... Je vais bien, d’accord ? »

Elle relâcha légèrement sa chemise à partir de cet instant, le visage rougi et animé d'une moue boudeuse qui lui aurait sûrement fait honte, si elle s'était regardée.
Pourtant, à l'heure actuelle, elle n'avait d'intérêt que pour lui et l'annonce qui venait de tomber.
Ses mains se glissèrent instinctivement contre les siennes et elle s'empara doucement de ses doigts en inspirant, lentement. Elle pouvait encore sentir ses lèvres trembler mais elle savait également qu'elle ne l'inquiéterait qu'un peu plus, si elle continuait à pleurer.

« Je sais que tu vas bien... »

Il lui fallut quelques longues secondes, pour réussir à arrêter de trembler. Une petite poignée d'autres pour rouvrir les yeux afin de le regarder.

« Excuse-moi... J'ai... tendance à être encore plus émotive que d'habitude, quand j'ai le moral dans mes chaussettes. » articula-t-elle en lui souriant avec maladresse. « Je ne savais même pas que tu avais eu une copine, je pensais que tu étais gay, pour tout t'avouer. »

Ses lèvres se déformèrent en un petit rire nerveux et elle relâcha finalement ses doigts pour lui sourire avec un peu plus de conviction. Elle ne se sentait pourtant pas beaucoup mieux.

« Je m'en rappellerai la prochaine fois que je prendrai le risque de t'étouffer avec ma poitrine. »

Whining of the tiny frog

♫
Il voulait la tuer. C'était officiel. Cruel et officiel.
Elle avait cru, pendant un moment, que l'ampleur de ce qu'elle ne savait pas s'arrêtait là. Qu'il avait simplement omis de le lui dire pour avoir à s'y confronter, pour simplement s'en détacher. Qu'il n'avait rien de plus à lui annoncer. Qu'elle pourrait simplement lui sourire avec tendresse et attendre, simplement, qu'il décide de lui en dire plus ou de clore le sujet.
Sans succès.
Son air stupide avait allégé le poids sur sa poitrine pour y amener un nouveau. Plus lourd. Plus désagréable et bien plus difficile à supporter.
Elle n'avait pas juste été sa petite amie. Ni même sa fiancée. Il y avait été marié. Et Rainie, elle, avait l'impression de lui découvrir une vie qu'elle n'aurait jamais soupçonné.

Elle se « fichait » volontiers de savoir qui elle était. Sa jalousie précédente s'était totalement évaporée et, avec elle, Rainie avait laissé partir la frustration insensée de ne pas être celle qu'elle aurait aimé représenter.
Mais son cœur la martyrisait, et elle ne savait plus réellement comment l'expliquer. Le fait qu'il le lui annonce de cette façon, sûrement ? Pas que. Pas que. Et le fait même de ne pas savoir comment l'exprimer suffit à un peu plus alourdir ses épaules de la frustration qu'elle peinait déjà à évacuer.

« T’as de ces idées parfois… pire que Vai… ou mieux, pire que… »

La remarque ne la fit même pas réagir. Pas plus que le fait qu'il n'entreprenne de continuer leurs pizzas.
La main posée contre son ventre, Rainie prit une légère inspiration néanmoins inutile. Tenta d'oublier la douleur qui tordait son estomac et qui, sur l'instant, lui donna cruellement envie de fuir. Loin. Très loin. Avant de finalement se muer en une frustration qui, à défaut de la faire pleurer à nouveau, donna des accents un peu plus prononcés à la colère sourde qui brûlait déjà en elle.

« Since we're getting into late night's confessions... » grinça-t-elle dans un Anglais qui démontrait très clairement le seuil de tolérance quasi négatif de ses nerfs, à l'heure actuelle.

Elle ne releva la tête qu'à ce moment, s'appuya contre le plan de travail pour plonger son regard dans celui de Leslie et prononça finalement l'évidence qu'elle tentait de fuir depuis quelques mois, désormais. Sans pouvoir empêcher à sa voix de trembler.

« J'ai été violée. Ici. Dans cet appartement. Il y a quelques mois. » Elle marqua une courte pause, pour respirer. Respirer. Elle avait besoin de respirer auquel cas l'averse qui ravageait le carreau de sa fenêtre ne serait rien en comparaison à ce qui la menaçait elle. « C'est pour ça que tu n'as plus eu de nouvelles de moi, c'est pour ça que je ne sors plus de chez moi, et c'est aussi pour ça que je t'ai demand-- »

L'égoïsme de sa déclaration la fit brusquement frissonner et elle recula, instinctivement. Pour s'éloigner, pour oublier. Pour ne pas s'emporter plus et pour laisser sa colère retourner à un stade de détresse qu'elle savait un peu mieux gérer.
Ses doigts se perdirent alors nerveusement dans ses cheveux et elle les agrippa légèrement avant de les repousser vers l'arrière, tout en tournant les talons. Elle avait craqué. De la pire des façons. Elle avait craqué et, indubitablement, le scénario au cœur duquel l'annonce était tombée la poussa à fermer les yeux de toutes ses forces, pour s'empêcher de pleurer.

« Je ne te l'ai pas annoncé pour que tu me prennes soudainement dans tes bras ou... pour que tu essaies de me réconforter. Je suis juste... déçue ? irritée ? agacée ? in...crédule ? je n'en sais rien mais c'est là, c'est désagréable, et ça me donne envie de te frapper. Comment est-ce que tu peux m'annoncer que tu es veuf comme si tu m'annonçais la couleur de ton caleçon, Leslie ? »

« Et ton coeur en morceaux ? » « ... Il y est habitué. »

Whining of the tiny frog

♫
Rainie ne prit conscience de l'ampleur de la bombe qu'elle avait lâchée que lorsque Leslie parût lui-même exploser. Brusquement. « À quoi est-ce que tu t'attendais ? » À rien, sûrement. Elle savait qu'il y réagirait plus ou moins mal. Elle n'avait pas prévu, en revanche, qu'il se fracasse presque les doigts sur son plan de travail. Pas plus qu'elle n'avait imaginé l'idée seule de le voir soudainement se mettre à trembler.
Sa nonchalance habituelle était si prononcée qu'elle n'avait jamais pu s'imaginer sa colère ou sa frustration et le résultat était... inquiétant. Sans pourtant lui paraître effrayant.

« Il est bleu avec des petits canards jaune dessus, c’est ma sœur qui me l’a offert pour mon anniversaire. »

Elle voulut bouger, sur l'instant. Attraper ses mains pour s'assurer qu'il n'avait rien. S'excuser. Lui demander de lui pardonner. S'excuser, encore, jusqu'à ce qu'il semble un tant soit peu apaisé.
Ses muscles refusèrent de bouger.

« Et on s’est mariés seulement pour la blague… parce qu’on trouvait ça drôle ce qui serait inscrit sur la pierre tombale… Elle s’appelait Leslie. »

L'aveu lui soutira un sourire piteux.
En temps normal, elle l'aurait probablement traité d'idiot avant de le pincer, de rire ou de juste rouler des yeux parce que les raisons de ce mariage lui paraissaient cruellement stupides, en surface. Aussi stupides que pourtant profondément sincères. Amoureuses et sincères.
Leslie n'était pas du genre à épouser une femme s'il ne la considérait pas comme l'amour de sa vie. Pas à ses yeux, tout du moins. Et le simple fait qu'il lui ait promis son amour quand bien même il savait qu'elle mourrait suffisait à ne pas remettre en doute les raisons d'une union aussi précaire.

« Comment fais-tu ? Comment fais-tu pour vouloir me voir alors… que je n’ai pas réussis à te protéger ? »

Rainie se sentit frissonner. Désagréablement. Elle n'aimait pas son regard. Elle n'aimait pas le ton de sa voix. Elle n'aimait pas l'ampleur que prenaient ses mots mais elle ne pouvait en vouloir qu'à elle-même, d'avoir agi sous impulsion. Il lui en voudrait, sûrement. Et il avait toutes les raisons de le faire.

« Tu n’es pas mieux que moi… Je… Je suis désolé de ne pas avoir été là plus tôt… »
« Leslie... »

Sa voix résonna avec toute la douceur, néanmoins fragile, qui se dessina sur ses lèvres et elle bougea enfin pour aller tendrement prendre sa main qui n'était pas meurtrie dans l'une des siennes.
Paniquer ne servirait à rien. Crier non plus.

« Tu veux déménager ? Est-ce qu’au moins… Vai ou l’un d’entre-nous le sait ? »

Elle opina, simplement, remonta ses doigts de libre contre sa joue en une caresse qu'elle voulut délicate au possible et lui sourit légèrement, en dépit de son cœur qui cognait furieusement sa poitrine. Elle ne voulait pas qu'il lui en veuille mais, par-dessus tout, elle refusait qu'il s'en veuille à lui-même.

« Vai et Seventeen le savent. »

Elle se pinça les lèvres dès la fin de sa phrase. Coupable et assez peu certaine de convenablement agir, sur l'instant.

« Je ne veux pas déménager parce que j'ai peur d'être seule dans un endroit qui me semblera encore plus hostile et incertain que cet appartement. » murmura-t-elle en essayant d'apaiser les tremblements de sa voix.

Sa main se perdit dans l'océan brun de ses cheveux et elle tendit légèrement son cou pour déposer un baiser presque impalpable contre sa joue. Un baiser délicat. Un baiser tendre. Un baiser sincère lors duquel elle resserra un peu plus ses doigts autour de siens.

« Tu n'as pas à t'en vouloir, mais... tu peux m'en vouloir à moi. »

Doucement, et sans le lâcher des yeux, Rainie entreprit alors de calmement caresser le dos de sa main à l'aide de son pouce puis recula afin de jeter un œil à son autre main. Rougie et à première vue abîmée.

« Tu n'es coupable de rien, Leslie. Je voulais, non, je veux te voir parce que, jusqu'à maintenant, tu étais la seule personne qui pouvait me regarder sans se rappeler de ce qui est arrivé. Ton ignorance était... rassurante, d'une certaine façon, et j'avais... j'ai besoin de ce que tu es naturellement, pas d'un réconfort particulier. »

La maladresse de ses mots la fit grimacer, apporta un peu plus d'ampleur à la frustration qui faisait légèrement trembler ses lèvres et elle inspira. Longuement.

« J'ai tout bêtement besoin de t'entendre me dire que tu portes encore des caleçons avec des canards ou que tu es un enfant qui aime regarder Cars parce que ce sont des voitures qui parlent. Il y a des fois où je n'ai pas juste besoin de toi comme d'un protecteur, banane. »